• Ça donne absolument pas envie, mais ; si ça va trop vite, si c'est décousu, je ne m'en excuse absolument pas. Je n'ai écrit ça qu'a but thérapeutique. Je partage parce que j'aime partager. So, enjoy quand même ~


    Quand le chat n'est pas là les souris dansent, dit-on.

    C'était un de ces jours où le chat - les parents, le grand-père et le petit frère - était absent pour une bonne partie de la soirée, laissant la possibilité aux souris - mon grand frère et moi - de faire toutes les bêtises qu'elles voulaient. En soit, sortir de la maison à cette heure aussi tardive n'avait rien d'une dérogation ; nous avions reçue l'autorisation via un charmant « faites ce que vous voulez », mais sûrement pas pour tout ce qui passait par la tête du frangin à l'instant présent.

    Rey s'est pointé sur le pas de la porte grande ouverte de ma chambre, avec son air de gars de fan fiction ayant une idée sournoise sur le bout de la langue. Comme une virée en boîte, avec la fameuse musique trop forte, l'alcool que je ne supporte pas et le sentiment peu agréable d'oppression constante.

    - Alooors... ça te dit ou pas ? il me questionne, sachant très bien que je comprends parfaitement son allusion : nos deux trois ami.e.s commun.e.s, de la pizza, une guitare - la mienne -, des guimauves pour simuler l'ambiance feu de camp. Si on va regarder un film bien ennuyant sélectionné aléatoirement sur la télévision de notre hôte, discuter sans relâche jusqu'au lever du soleil ou juste se regarder dans le blanc des yeux à attendre que quelque chose se passe, on ne le sait jamais trop d'avance. On improvise toujours sur le tas. La dernière fois, c'était bowling.

    J'enlève mon casque de sur mes oreilles rendues douloureuses par les dix-huit heures d'utilisation, prends le temps de replacer mes cheveux verts assurément écrasés par le-dit casque - c'est ça le truc qu'on nous dit pas à propos des coupes de mecs ; faut absolument les coiffer et les recoiffer et encore les recoiffer pour avoir l'air présentable -, de replacer le T-Shirt de mon pyjama et de m'étirer de tout mon long. Tout ça sous l'oeil blasé du blond, qui connaît par cœur mon manège de pseudo-hésitation.

    - Tu vas faire un effort, hein ? qu'il soupire, désormais étalé sur mon lit grinçant.

    Je grimace, stop tout mouvement, alors qu'il repart vers sa chambre en quête de chaussettes propres. Faire un effort, aux yeux de mon frère, signifie enfiler ce que j'ai jamais voulu enfiler, porter ce dans quoi je ne suis pas le moins du monde à l'aise.

    Jouer à être la personne qu'on s'imagine être moi.

    Mon regard vairon se baissent sur l'écran encore allumé de mon portable un moment, un tout petit moment d'hésitation, de doutes et de questionnements - questions sans réponses ou pas, je ne sais plus trop, dans l'immédiat. Je dois me forcer pour arriver à le lever sur ma commode, un poids invisible écrase ma nuque, mon cou, mon crâne. M'empêche de respirer correctement, je-

    suffoque. Me lève sur mes jambes tremblantes. Ferme la porte. Panique. La verrouille. Jette un œil à mes tiroirs. Hésite. Tente la bouffée d'air frais. N'y arrive pas. Clos les paupières. Tends une main fébrile vers la poignée. Recule. Suffoque.

    Rien que la présence de

    mes, ses, mes, ses

    vêtements derrière le pan de bois me brûle la peau. Les bouts de tissus me narguent, ricanent en choeur, se moquent joyeusement de mon état, de ma réaction que n'importe qui qualifierait de dramatique. Un acte exagéré sous tous les angles.

    Pourtant, lorsque je fais tourner le haut lavande, avec une tête de panda dessinée dessus, qu'on m'avait offert à un moment donné ou à un autre, je me sens tellement démunie que le simple fait de tenir ce léger morceau de coton entre mes doigts me semblaient devenir une épreuve insurmontable. Autour de moi, la pièce commence à tanguer. Je sais que je n'ai qu'à m'étendre un peu pour faire passer cette impression, mais je ne bouge pas, fixant encore et toujours ce stupide panda.

    C'est un pyjama que j'ai énormément porté dans le passé, très confortable et zéro matière agressive. Je n'ai rien à lui reprocher, sinon d'avoir été cousu pour le mauvais sexe.

    Ce serait tellement plus simple si tous les vêtements étaient unisexes, bordel.

    Je repose le T-Shirt à base de coton - je crois ? - à sa place initiale : dans le tiroir du haut, caché au fond. Et puis, je regarde la seule robe que je possède. Le genre de trucs que j'aime regarder tourner sur les corps des autres femmes, que je pourrais presque trouver beau. Ça, c'est un cadeau de la copine de Rey, qui pensait bien faire, mais qui, au final, a seulement réussi à tout empirer. Je-

    crois qu'il faut que je m'étende un peu.

    Les pas de l'aîné en fond, calfeutrés par le mur et la porte close. Il toque rapidement, agresse mes oreilles cotonneuses.

    - T'en mets du temps, il se plaint simplement. Toque une nouvelle fois, ne reçoit aucune sorte de réponse de ma part. Qu'es'tu fous ?

    J'empoigne l'unique T-Shirt neutre de ma collection, enfile le skinny le plus foncé du tiroir du bas, me bats un instant avec les lacets de mes merveilleuses bottines avant de déverrouiller et tourner la poignée, trouvant un frère équipé de chaussettes propres de l'autre côté.

    - À l'aide ? je me retrouve à quémander, le regard sur mes Doc ; je sais toujours pas faire mes lacets, alors que je me souviens avoir joué à les défaire, refaire, quand j'étais gosse.

    Il prend le temps de zieuter ma tenue avant de se pencher, l'air déconfit, et réussir en dix secondes chrono à nouer ces fichues cordes.

    - J'aime pas les robes.

    - Je sais. T'es belle quand même, qu'il tient à me complimenter, rempli de bonnes intentions.

    Belle.

    - Non, je lâche dans un souffle, le visage aussi froid que possible. C'est le seul mot qu j'arrive à forcer hors du nœud au fond de ma gorge, dans ces moments. Et personne comprend, ne cherche même à comprendre. Tout le monde se contente de me regarder de travers, comme si ma peau était soudainement devenue violette. J'ai l'impression d'essayer dans le vide, que même le frère qui a toujours fait de son mieux pour me comprendre et me supporter ne voit aucun de mes efforts. Le sentiment de déception m'étreint rapidement avant de disparaître aussitôt, pour être remplacé par un vide émotionnel dominé par un malaise constant.

    Il vit là depuis beaucoup trop longtemps, ce malaise.

    Le blond n'a pas plus insisté, sachant très bien que ça ne servait à rien de m'abreuver de compliments, que ça n'influençait pas réellement ma pensée sur mon moi-même.

    - Rey ? Il se tourne vers moi, le regard étonné, comme si je venais juste de dire ou faire quelque chose que je n'avais jamais dit ou fait. Ça va pas du tout, jamais dit, fait. Malheur jamais avoué ou démontré de façon claire.

    Il tend son bras à peine tatoué vers le mien, presque totalement recouvert,

    - Je... crois que j'aime pas être une femme.

    me serre contre lui,

    - J'me sens plus homme.

    m'embrasse la tempe,

    - J'veux être un garçon.

    - Okay.

    Plein de compréhension, d'acceptation totale.


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  • Un texte que j'ai écrit... il y a longtemps, quelque part en 2016. Encore aujourd'hui, même après m'être (je trouve, personnellement) pas mal amélioré entre temps, j'en suis plutôt content, du coup je partage de nouveau avec vous...

    Enjoy ~


    [cw / tw ; dépression]

    C'est, je ne sais pas, comme si tu te tenais devant moi, là, ton éternel silence emplissant la pièce poussiéreuse. Elle ne bouge pas, n'émet aucun son, se contente de rester debout et d'observer ; comme toi. Et pourtant, on se tourne vers elle et tout de suite on la voit. Sa couleur voyante, tes yeux que tu t'efforçais de détester, d'une haine que tu formais dans le peur de la différence des autres. Et ces dessins, sur ta peau, que je n'ai jamais vraiment compris. Cette guitare un peu trop vive, d'une certaine façon, me fait penser à ta silhouette immobile qui captivait. Alors je me dis que, peut-être, ça pourrait être bien. De te revoir, comme une illusion. De voir tes rares sourires et tes rires l'étant encore plus. Ces petits trésors éphémères qui commencent déjà à disparaître, à s'effacer, doucement, me faisant un peu plus crier à chaque fois. D'une douleur qui vient bien de ces sourires, et de ces rires. Et je pense bêtement au fait que, peut-être, tu ne m'as jamais sourie. Peu importe, en fait, que je t'ai rendue heureuse ou non. Je préfère me dire que j'ai été ta lumière, l'ampoule chancelante dans un endroit complètement noir et ravagé, détruit, comme si une tempête de souffrance passait régulièrement par là. Et c'était bien le cas. Tu souffrais, souffrais, souffrais. Moi aussi je souffrais, mais différemment, moins. Et encore moins depuis le moment où ta faible lumière est venue m'éclairer fébrilement.

    Je regarde cette guitare bien rouge, encore, toujours, ne la lâche plus une seconde, me demandant si un jour je me déciderais à la saisir et à arrêter de la fixer bêtement. Mais c'est comme si je posais la gomme sur la feuille de papier et me mettais à tout effacer. Alors je tremble, me mords la lèvre dans l'indécision et bats des cils pour chasser les gouttes salées qui perlent au coin de mes yeux gris, comme un des tiens. Le vert de l'autre se colle à mes cheveux secs et beaucoup trop longs. Ils ont bien poussés, en deux mois d'inactivité, en deux mois inutiles durant lesquels je n'ai fais que me dire que tu me souriais encore, là, juste à côté de mon corps tout tremblant, secoué par des sanglots que je n'ai jamais réussi à arrêter. Les larmes coulent et ne cessent plus vraiment. Mais on m'a dit que ça ne se faisait pas, de rester en deuil aussi longtemps, qu'il fallait passer outre et continuer à vivre. Vivre, retourner en cours, supporter les regards de pitié, et surtout de dégoût. Vivre, oublier, effacer. Te faire disparaître comme si tu n'avais jamais existé. On me répète souvent que c'est normal, que c'est la norme, que pour être socialement acceptable il faut lâcher deux, trois petites gouttes pathétiques et hypocrites, puis simplement retourner à son quotidien ennuyant où on se perd dans la routine établie.

    Les notes fusent et moi je ne fais que regarder l'instrument, comme si je n'en pinçais pas les cordes à cet instant précis. Je relève mes prunelles sucrées et découvre la foule amassée devant moi, silencieuse, curieuse mais peu intéressée. Des regards emplis d'incompréhension. Pourquoi pleure-t-il, là, sans retenu, devant de pur.e.s inconnu.e.s ? Parce qu'il est humain, et que l'humain n'est pas fait que de réputation et de faux semblants, ces choses qu'on vous balance dès votre plus jeune âge. Je me détourne simplement de ces personnes, comme à l'habitude, comme je le fais tous les jours, continuant à jouer. Peut-être à chanter, je ne sais pas. Je sens à peine de faibles bras venir m'entourer, d'un geste se voulant réconfortant, rassurant. Et je m'imagine que c'est toi, que c'est ton épaisse chevelure noire qui me chatouille l'épaule. Et je souffre, et je pleure, et je me laisse aller, et je m'en fous. Mais à un point. Je veux juste entendre tes rires, voir tes sourires, te serrer contre moi, passer ma main dans tes cheveux, t'empêcher de mettre tes stupides lentilles, terminer notre marathon série laissé en suspens. Je veux juste qu'on me laisse déprimer, qu'on me laisse ressasser encore et encore, qu'on laisse la vague de souvenirs me submerger et noyer le peu de joie qui peut me rester. Qu'on me laisse m'échapper de ces bras trop timides pour me retenir, qu'on me laisse courir, qu'on laisse la guitare se briser en mille morceaux et détruire ton visage.

     


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  • ... qui n'est ni plus ni moins que la version extended de 'La Guitare Noyée'. Certains passages me perturbent, mais j'en suis plutôt content aussi :')

    Enjoy (si ça vous tente, voilà la chanson citée) ~


    [cw / tw ; dépression ;
    suicide ; harcèlement]

    Eli saisit la guitare de sa meilleure amie d'une main tremblante, l'observant de ses yeux larmoyants. Toujours les mêmes signatures, toujours la même couleur rouge beaucoup trop voyante pour une fille aussi renfermée, toujours les mêmes cordes. Toujours la même guitare, toujours les mêmes souvenirs. Les mêmes sons résonants à l'intérieur de son crâne martelé d'images heureuses, où elle souriait, où elle riait, où iels se serraient mutuellement dans leurs bras en observant les étoiles. Brillantes comme son rare sourire, comme son sourire qu'on ne voyait jamais. Peut-être ne lui avait-elle jamais sourit. Peut-être n'était-ce qu'un mirage, qu'une chimère. Peu importe. Il préférait croire qu'il était sa petite lumière, qu'elle arrivait à vivre à ses côtés.

    Il mordit violemment sa lèvre inférieure, incapable d'arrêter la haute vague avançant à toute vitesse, le menaçant de toute sa grandeur. La vague laissait couler une pluie salée sur lui, projetant son ombre sur le sable fin, s'étendant jusqu'au-delà. Plus loin que sa pauvre personne, que le pauvre humain impuissant qu'il était, piégé sous l'eau glacée, attendant l'heure où elle tomberait et l'engloutirait, l'emportant loin, loin dans l'océan de ses souvenirs. Et il se laisserait couler, laisserait le liquide s'infiltrer à l'intérieur, noyer ses poumons et lui ôter toute capacité de se remémorer. Il se laisserait tomber au fond de l'océan, comme du haut d'un immeuble.

    Le verdâtre releva la tête vers le ciel vide d'étoile, clignant inlassablement pour tenter de chasser les perles naissant au coin de ses yeux gris. Ses doigts vinrent jouer dans ses cheveux, replaçant quelques mèches rebelles. Sa main libre, elle, replaça sa chemise froissée, déformant les carreaux noirs et blancs. Ses pieds donnèrent quelques coups dans le vide, ordonnant aux fourmis gagnant ses jambes de retourner dans la nature. Son nez se retroussa en une légère grimace de dégoût et ses oreilles piquèrent en entendant les fausses notes fuser à travers la nuit. Ses paumes se rencontrèrent automatiquement à de nombreuses reprises lorsqu'elles cessèrent de le torturer ainsi.

    Le guitariste raté remercia brièvement la foule et sauta du semblant de scène installé sur la plage, repartant d'où il venait, où que ce soit. Il se perdit parmi toutes ces personnes et disparu de la vue d'Eli, qui se retourna vers le petit groupe amassé sur les lattes de bois, s'installant rapidement derrière leurs instruments respectifs et débutant une chanson inconnue du solitaire. Au moins iels connaissaient un minimum leur partition... c'en était presque agréable. Ce serait agréable si une vague ne se balançait pas à quelques mètres au-dessus de sa tête. Il tendit le bras devant lui, dessinant des visages figés dans l'air. Sa main forma un poing, prête à briser le mur invisible lui faisant face. Il entendit d'autres applaudissements, encore, étouffés, et son regard se baissa sur l'écume se formant près de lui. Plus loin, un quelconque oiseau le fixait, la tête penchée, ne comprenant pas les raisons de sa solitude.

    Il y avait tant de gens, là-bas, profitant du spectacle, de ces artistes amateur.e.s venu.e.s présenter des reprises foireuses de musiques qu'iels aimaient. Alors pourquoi restait-il à l'écart de tou.te.s ? L'oiseau tapa des pattes sur le rocher, criant, comme tentant de communiquer. Comme s'il comprenait. Mais c'était stupide, pas vrai ? Les animaux ne discutaient pas avec les humain.e.s. Ils devaient le savoir, eux, si intelligents. Pourtant, ils ressentaient les mêmes émotions. Les mêmes sentiments. Différemment, certes, mais ça ne changeait rien à leur nature. Il se surprit à rendre bêtement sa parole à l'oiseau, jusqu'à ce qu'il cri de nouveau et s'envole sans jeter un coup d'oeil de plus au coloré qu'il abandonnait sur la terre ferme.

    Celui-ci se pencha vers le sol, ramassant une pierre, puis une autre et une autre, les amassant en un petit pas qu'il lança à l'horizon, suivant leur trajectoire avant de recommencer. Une pierre rencontrait une larme, une autre une masse de cheveux recouvrant une tête baissée, une autre ce sourire triste. Une dernière le vide, juste le vide, juste la solitude, juste sa solitude. Juste lui et la vague patientant, attendant l'heure où elle pourrait le couler, où ses souvenirs détruiraient le barrage et se précipiteraient vers le village, noyant le peu de rires dansant encore dans son esprit attristé.

    Ils n'étaient ni les plus beaux, ni les plus mélodieux et elle ressemblait davantage à une otarie se tenant le ventre, un énorme sourire peint sur son visage émacié et blanchi par le manque de soleil. Et ses joues relevées rendaient un air fantomatique, un air de cadavre ambulant. Et ses mains osseuses serraient sa peau, comme tentant de l'arracher. Et ses bras faibles tremblaient doucement à chacun de ses mouvements, à la manière d'une poupée de chiffon. Et ces rires n'étaient pas les plus agréables à écouter, mais elle riait si peu qu'ils étaient des petits trésors qu'on se devait de conserver, de préserver, d'éloigner du mal guettant, affamé.

    Ce mal duquel il n'avait pas su la protéger. Il l'avait laissé la griffer, la mordre, la blesser, la tuer. La tuer, surtout. Arrêter son coeur d'or, tacher ses cheveux de sang, éclater son crâne, tordre son bras, briser ses côtes, bleuir ses jambes flageolantes, marcher sur ses pieds ridiculement petits. La maltraiter, l'insulter, la rejeter. Faire d'elle une bête de cirque, qu'on prenait plaisir à observer, repliée dans un coin de sa cage ; prisonnière des regards moqueurs, enfermée derrière des barreaux de souffrance, attachée au sol par des chaînes translucides, faites de ses sanglots beaucoup trop nombreux. L'eau dévalait son visage, le piquait, le brûlait, enflammait ses paupières. La tuait à petit feu. Et lui il ne l'avait pas aidée, il l'avait regardée dépérir, se contentant de sécher ses pleurs et de lui tapoter l'épaule, de l'écouter raconter ses insupportables journées et de soupirer. Non pas qu'il s'en lassait, non pas qu'il s'en fichait. Iels subissaient tou.te.s les deux la même chose, à des degrés différents. Il était le mieux placé pour la comprendre et il l'avait abandonnée. Une bête et ridicule dispute et il tournait les talons, l'ignorait en cours et faisait comme si elle n'existait pas. Ces regards tristes, ces sourires qui s'effaçaient lentement, ces rires qui se taisaient... il les avait vus. Tous !

    De la même manière qu'il voyait la scène sur laquelle il était censé monter. Sur laquelle il monterait. Dans quelques minutes, peut-être secondes, il ne savait plus trop. Le temps filait entre ses doigts comme les notes qui s'échapperaient de la guitare de sa meilleure amie. Il s'écoule, tombe du sablier et s'envole dans l'air avant de rejoindre le vent, invisible, soufflant chaudement dans les feuilles d'automne. Les détachant de leurs branches, causant leur chute là où elles mourraient au fil des jours, des semaines. Beaucoup survivaient, persistaient à rester en vie, à s'accrocher encore quelques heures à une morne existence solitaire. Un peu comme lui, un peu comme son petit trésor. Et puis la chute, la chute d'une nouvelle feuille, qui se pose sur une autre, en quête d'un peu de réconfort, d'un câlin. Deux personnes solitaires qui finalement ne l'étaient pas tant que ça. Et puis une seconde chute. Son nom crié dans le vide, son corps qui tombe à une vitesse folle, des pas qui se précipitent dans l'escalier, la porte qui frappe le mur, des larmes qui coulent sur des joues rebondies, des yeux affolés, sa tête qui se fracasse contre le bitume, ses lèvres qui s'entrouvrent à la recherche d'air, des hurlement perçants, les passant.e.s qui le regardent sans réagir.

    - Eli ?

    Il crut entendre une voix, il crut sentir une main sur son épaule. Ses oreilles bourdonnaient, cillaient de temps en temps. Parfois les deux à la fois. Et il se demandait s'il n'était pas devenu sourd. Il se retourna lentement, tentant de discerner les paroles confuses de la personne venu le déranger dans sa solitude. De grands yeux bleus inquiets, de longs cheveux roux, un visage enfantin, un timbre d'adolescente. Vingt bons centimètres de moins que lui ; elle devait relever la tête pour voir ses prunelles sucrées, vides de toute émotion. Alors que dans sa tête, ce n'était qu'un ramassis de tout ce qu'un être humain pouvait ressentir.

    - T'es sûre que ça va ? elle prit une pause, le scannant de son regard innocent et plein de bonté sincère. Tu veux toujours jouer ? ce regard, Dieu, ce regard, il était comme celui de sa meilleure amie. Alors il lui fit un semblant, un fantôme de sourire et acquiesça silencieusement, la suivant jusqu'à la scène improvisée.

    Quatre marches grinçantes et craquantes plus tard, il se tenait, là, figé, devant le micro, la guitare à la main, incapable de parler. Sa gorge était bloquée, écrasée dans un étau. Sa respiration s'accélérait et il dut se faire violence pour que ses doigts lui obéissent, pinçant les cordes sans un mot pour son auditoire. Il n'y arrivait juste pas. Mais jouer, gratter les vieilles cordes de l'instrument encore et encore pour créer une magnifique mélodie... pas besoin de s'exprimer en bafouillant, la sueur trempant son T-Shirt, les mots étirés durant de longues et interminables minutes. Jouer, chanter, commencer, terminer, s'en aller.

    ''I drove all the places we used to hang out getting wasted
    I thought about our last kiss, how it felt the way you tasted
    And even thought your friends tell me you're doing fine''

    Son ton drôlement assuré le surprit, sur le coup. Il ne croyait pas y arriver, il croyait qu'il resterait muet devant la foule le fixant, se demandant probablement quand est-ce qu'il commencerait sa chanson. Sa chanson ? Non, pas sa chanson. Celle d'Émeny. Sa chanson préférée ; elle le lui rappelait à chaque fois qu'elle passait à la radio, dans ses écouteurs, dans son ordinateur... presque tous les jours. Sa chanson préférée.

    Il se souvenait encore du moment où ils avaient regardé curieusement le clip vidéo, n'ayant rien de mieux à faire pendant un jour de pluie, coincés à l'intérieur par leurs parents. Sur le portable de l'ébène, ils avaient fait un petit tour sur YouTube - malgré l'accès Internet sautant toutes les dix minutes, étalés l'un sur l'autre sous les couvertures douillettes, l'eau frappant les vitres de plein fouet derrière eux. Des gens qui s'amusaient, heureux, coupés par des zooms sur les membres du groupe, chantant chacun dans leur coin. Et puis Michael et ses cheveux verts, le rire d'Émeny emplissant la chambre et son doigt pointant le crâne de son meilleur ami.

    Il avait tenté d'en changer, ou de simplement retirer toute trace de teinture, mais elle l'en avait empêché, proclamant que comme ça iels étaient un peu la même personne. Elle sautillait sur place avec un sourire timide aux lèvres, serrant les dents en l'attente de sa réponse. Et il l'avait trouvé adorable, encore une fois, alors il avait cédé, gardant ce vert jusqu'à ce qu'il n'en puisse plus. Aujourd'hui, il n'arrivait pas à s'y résoudre, à se motiver à quitter cette couleur. Ce serait comme essayer de l'effacer.

    Sa chanson se finit, il n'avait plus rien à dire, il n'avait plus rien pour cacher sa tristesse, pour s'empêcher de pleurer. Alors il pleurait, il laissait s'échapper les sanglots retenus trop longtemps. Son corps tremblait, ses épaules se levaient et s'abaissaient rapidement, comme s'il était en plein dans un fou rire, ses genoux menaçaient de le lâcher. Ses jambes semblaient attirées par le sol, aimantées. L'aimant voulant rejoindre l'autre aimant. La foule le regardait, presque blasée. L'adolescente ne savait pas trop quoi faire, sinon venir entourer son torse de ses bras pour un simple câlin qui redoubla ses larmes. Ce n'était pas d'un câlin de la part d'une rousse dont il rêvait. Sa meilleure amie n'était pas rousse. Émeny affichait fièrement sa couleur foncée.

    Ses membres cédèrent sous ce poids bien trop lourd pour eux, secoués de toutes parts. L'adolescente resserra sa prise peu réconfortante et, Dieu sait où il en avait trouvé la force, il l'ignora, partant juste en courant sous les exclamations emplies de surprise du public. Fuyant, vite, nulle part. Courant, vite, lui qui n'était pas un grand sportif. Son souffle court ne l'empêcha pourtant pas de continuer, de fuir, de courir, nulle part, partout, loin. Là où personne ne viendrait le déranger, là où il pourrait rester seul, entièrement seul, dans le silence, dans le noir. Sans musique, sans foule, sans adolescente innocente, sans scène improvisée, sans micro. Rien. Juste lui, lui et lui seul. Pas même la guitare, cette guitare voyante que sa main lâcha dans sa course folle, désespérée. Elle se fracassa contre le trottoir froid, éclata en mille morceaux, se dispersa un peu partout. Les sourires apparurent un instant, les rires résonnèrent une dernière fois, les trésors se découvrirent le temps d'une seconde, ses souvenirs noyèrent le village. Avant de disparaître à tout jamais.

    La vague l'avait submergé.

    ***

    - Ça suffit, maintenant ! Tu te réveilles, tu sors de cette tombe, tout de suite. Tu débarques verte et toute moche, j'en ai rien à faire, mais me laisse pas, me laisse pas tout seul... t'as pas le droit. T'es ma petite lumière, je suis la tienne. L'autre toi, le vert. L'idiot qui apprend à jouer de la guitare pour te jouer ta chanson. Tu sais, hum, cette chanson qui a fini par casser les oreilles de tout le monde. Je ne te le disais pas, parce que tu souriais à chaque fois qu'elle passait et que j'aime ton sourire. Il est magnifique, tu sais ? T'aurais dû sourire plus souvent, rire comme une otarie plus souvent, me casser les oreilles plus souvent, m'ordonner de garder mes cheveux verts plus souvent. Et tu vas le faire, hein ? Je vais me retourner et tu seras là, en train de m'écouter parler à une tombe vide. Comme cet épisode de 'Sherlock', celui où t'as cassé ma tasse préférée en faisant tes yeux de poisson. Tu te souviens comment tu t'es mise à crier que ça se faisait pas ? Comment je me suis bien foutu de ta gueule ? Comment tu m'as boudé trente bonnes secondes ? Tu t'en souviens, de ça ? De nos marathons séries, de tout. En tout cas, moi, je me souviens. Chaque mot, chaque rire et surtout chaque sourire. T'aurais pas dû sauter, t'avais pas le droit de m'abandonner. J'aurais jamais fait ça, moi. On est censé rester ensemble, subir tous les deux, entre lumières. T'avais pas le droit de t'éteindre, t'avais pas le droit de me laisser tout seul. J'ai failli faire pareil, tu sais. Mais je me suis dis que si t'étais en vie, t'aurais été là pour me faire tes nounours câlins, comme tu les appelais. T'aurais dû être là. J'aurais été là pour toi, à te faire des nounours câlins quand t'en aurais eu besoin. Et même heureuse. J'aimais te faire des câlins, et maintenant je me retrouve à en faire à une tombe froide... T'es pas là-dessous, hein ? Non parce que ça peut pas être vrai. Tu peux pas avoir sauté, là, juste devant moi, tes larmes inondant ton joli visage, cachant ton joli sourire et empêchant ton joli rire de se faire entendre. T'avais qu'à venir me voir, je t'aurais fait un nounours câlin et on aurait regardé 'Doctor Who' en mangeant de la pizza dans ton lit à couverture pingouin, ta peluche pingouin sous ton bras valide, l'autre me serrant. Et toi tu serais couchée sur moi. Comme on en a l'habitude. Quand on a regardé tous les clips, toutes les vidéos, écouter toutes les chansons et puis regardé tous les documentaires des Sauces en une nuit. Y'avait de la pluie, on voyait rien à travers ta fenêtre. Tes parents venaient nous surveiller de temps en temps, mais on s'en foutait. On était bien. Et toi t'es partie, t'as tout effacé. T'avais pas le droit. J'ai pas le droit aujourd'hui, t'avais pas le droit le jour où tu l'as fait. Et t'aurais pas plus le droit aujourd'hui. Mon amitié te suffisait plus ? Ou alors j'étais rien ? Tu m'as regardé te supplier par tous les moyens possibles de pas faire ça, et toi tu m'as juste ignoré. T'as juste fait un pas en arrière. T'avais même pas peur, tu souriais quand tu t'es mise à tomber. Tu souriais. Tu me souriais. T'as pas pensé à moi, deux secondes, comment je réagirais ? Tu t'es pas dis que j'aurais pu faire pareil, te suivre ? Parce que je suis rien sans toi, et que tout le monde le sait. Mais non, moi j'ai persévéré. Je t'ai défendue à chaque fois que quelqu'un osait insulter une morte. T'étais même pas là pour faire pareil. J'ai envie de te faire un câlin, j'en ai besoin, et tu peux pas. Faut que je me fasse un câlin à moi-même. C'est mieux quand c'est toi. C'était mieux quand tu me serrais dans tes bras tout faibles. Quand tu me disais que j'étais ton bébé pingouin et que c'était impossible d'être plus mignon que moi, que tu partirais jamais, quand je te faisais promettre de jamais m'abandonner. Elle est passée où, ta parole ? Ta promesse, elle vaut pas grand chose, sinon tu serais derrière moi, silencieuse, attendant le bon moment pour me dire que c'était qu'une de tes stupides blagues qui faisaient rire que moi. Mais tu le feras pas, tu le feras pas parce que c'est pas une blague, qu'on se ferra plus jamais de nounours câlin, qu'on regardera plus jamais de série ensemble, que ta chanson me tapera plus jamais sur le système et... que je te pardonnerai jamais. Je peux pas. Mais en même temps je veux que tu reviennes. Y'a une petite voix qui me cri de juste te demander de revenir... alors... juste... reviens...

    ''Tell me this is just a dream
    'Cause I'm really not fine at all''

     


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